Fianna de Larios, Champion Chasseur

Il existe des gens qui n’ont aucun talent particulier. Comme ils n’excellent en rien, ils ne peuvent que tenter de suivre les autres et maintenir, vaille que vaille, un niveau moyen. Parmi eux, certains ont l’ambition de s’améliorer mais, dotés de capacités insuffisantes, ils n’y parviennent jamais. Ils sont voués à rester statiques. A moins que…

Sur Larios, Fianna faisait partie de ces personnes qui ont du mal à trouver leur voie. Ses parents avaient tenté sans succès de la diriger sur le chemin des clercs mais les livres l’ennuyaient ; puis des mages mais elle n’avait aucune aptitude magique ; guerrier en dernier recours mais elle était trop faible. Rien n’attirait l’intérêt de Fianna, elle n’avait pas de don spécial et, pire que tout, elle était affublée d’un pesant défaut : la laideur. Chétive, un bec de lièvre et un œil immobile entouré d’une tache de vin, la petite fut victime de moqueries et brimades dès son enfance, ce qui ne l’encouragea pas à se lancer dans une quelconque carrière, ni à réaliser son seul rêve : fonder une famille. Sa seule échappatoire pour éviter de subir les vilains mots et jets de pierres était de se faire oublier. C’est ainsi qu’elle développa le talent de passer inaperçue, quasiment invisible. Elle passa aussi de plus en plus de temps en forêt, rentrant rarement au village. Là, au moins, ni les arbres ni les bêtes ne dénigraient son physique. Elle apprit à faire la course avec le cerf, à être aussi à l’aise dans les arbres que sur le sol, à se déplacer aussi souplement qu’une panthère, à écouter et comprendre le bruissement des bois.

Elle apprit seule à chasser pour se nourrir. Un jour, elle terrassa un énorme sanglier avec un coutelas de chasse. Ce ne fut pas une mince affaire et c’est couverte de boue et d’ecchymoses qu’elle décida de l’apporter au village. Elle y apprit qu’il avait détruit deux huttes et blessé cinq personnes. On la félicita d’avoir pu en venir à bout et de là, elle commença à gagner le respect des autres. Grisée par cette reconnaissance méritée, elle s’investit à fond dans l’art de la chasse, se surpassant toujours. Se mouvant sans bruit et ne ratant jamais sa cible, elle acquit vite une haute réputation de chasseuse. Elle faisait partie des meilleurs. Mais bien qu’elle appréciait ces égards, elle n’était pas heureuse. Il lui manquait quelque chose. La chasse lui avait sculpté un corps de rêve et sa démarche féline ne faisait qu’ajouter à son charme mais son visage n’avait pas changé, même en cachant son œil fixe derrière une mèche de ses superbes cheveux auburn. Elle ne se marierait jamais, étant trop laide pour cela. Elle en avait conscience et cela lui ravageait le cœur.

Quelle ne fut pas sa surprise quand un charmant jeune homme druide du nom de Shaïgan lui demanda sa main. Pensant qu’il se moquait d’elle, elle le repoussa. Il lui dit la trouver belle et elle éclata d’un rire amer et triste. « Vous êtes aveugle ou quoi ? » Il sourit doucement. En effet, il l’était. Mais il voyait d’une certaine façon, au-delà des apparences. Et elle devait le croire : elle était belle, forte et courageuse. Et il voulait la rendre heureuse.

Emue aux larmes, elle accepta et ils s’unirent. Commença alors pour Fianna une vie de félicité et de bonheur qu’elle n’espérait plus.

Il lui offrit un arc lunaire, le meilleur de ce qui se faisait en archerie. Ainsi parée, elle pouvait toucher ses proies à distance, ne risquant plus de se blesser dans les combats au corps à corps. Voulant faire la fierté de son époux, elle se surpassa jusqu’à devenir, de loin, la meilleure de tous les chasseurs.

Et quand les héros des trois lunes furent appelés sur Adreis pour combattre Valnor, Fianna fut désignée. Mais elle refusa de défendre des êtres qui jugeaient et rejetaient les gens à cause de leur apparence. Shaïgan la persuada pourtant d’y aller. Pas pour protéger les imbéciles, mais pour leurs enfants à eux. Elle seule pouvait le faire. Il plaçait tout son espoir en elle. Alors elle accepta, par amour pour lui.

Shaïgan était un peu shaman et se permit de regarder dans le feu ce qui allait advenir de son aimée avant qu’elle ne quitte Larios. Il la vit succomber avec les autres héros ainsi que l’anéantissement de toute vie sur les lunes. Il resta interdit un moment puis alla se recueillir sous la voûte de la nuit. Il ne pouvait ni révéler sa vision ni changer le destin. De toute façon il n’en avait pas le droit. Il pouvait juste aimer Fianna plus que jamais et lui donner une confiance en elle infinie.

Il prépara un élixir mêlant leurs deux sangs, leurs deux larmes et leurs deux souffles, incanta durant trois jours tout en lui taillant un arc de ses mains. Quand celui-ci fut prêt, il en fit couler la potion sur le bois et la corde, leur conférant une solidité et une souplesse uniques.

Il resta aux côtés de l’élue de son cœur le reste du temps, lui prodiguant mille attentions. Et ce fut le jour du départ.

Il lui remit l’arc baptisé « arc destinée » et ils échangèrent un baiser infini, intense, passionné, … ultime.

Fianna s’en fut vers Adreis.

Allongé sous un arbre vénérable, Shaïgan attendait. Quand le cœur de Fianna s’arrêterait de battre, le sien ferait de même au même instant. Ainsi le voulait l’enchantement de l’arc destinée.